Durant cette aventure menée pendant plus d’un an, j’ai eu à cœur, sans cesse, de naviguer entre le sensible et le savant. Les huit chapitres qui composent l’ouvrage s’agencent dans une trame qui part des sens pour retrouver du Sens dans notre lien à la « nature » : en jouant avec les mots, j’apprends à écouter autrement, à entendre les appels qui nous sont faits, pour ensuite me plonger dans une observation différente de mon environnement.
Guidée par les nombreux auteurs et autrices qui ont écrit sur le sujet, j’entre dans l’alphabet du vivant, j’apprends à décrypter peu à peu un langage que j’ignorais totalement.
À force, je bascule : il y a un avant et un après. Loin du procédé narratif, je me plonge, littéralement, dans une autre façon de voir et considérer ces problématiques dont je n’avais qu’une connaissance « de papier ». C’est peu dire, en fait, que cette expérience fut une « aventure » tant elle fut transformatrice.
Dans le quatrième chapitre en particulier, je me penche sur notre rapport au sauvage. J’aime ce mot que certains utilisent pour qualifier tout ce qui leur est étranger, barbare, sale ou incivilisé. Il m’évoque une part de secret, un monde qui échappe à notre maîtrise. Le sauvage est à la lisière, il enferme une forme de secret, une intrigue, une liberté. Le sauvage est ce qui m’est étranger, et qui le restera, car je ne veux surtout pas l’apprivoiser, qu’il reste ainsi à l’état pur, à l’abri de tout ce qui pourrait le dénaturer. Saisir la part du sauvage, c’est, je crois, toute l’attention – et la tension – qui se joue entre le petit prince et le renard…
Ce que je vous raconte là vous paraît peut-être étrange d’ailleurs, lointain, sans doute bizarre ou curieux ? C’est qu’il faut, pour le découvrir, accepter de le côtoyer dans tout ce qu’il a de plus brut. Il faut accepter de se mettre à nu, et s’interroger sur sa propre nature. S’émerveiller est un tête-à-tête qui se mérite au prix d’un affrontement avec soi-même : la patience, l’affût, le fait de surmonter ses peurs, d’aller dans la solitude, le silence et l’inconnu.
Je me mets à nu devant vous dans le livre, à raconter comment j’ai surmonté par exemple ma peur d’aller seule en forêt. Je me suis interrogée aussi sur ma propre part de sauvage : l’inexploré en moi, l’inconnu, les peurs enfouies. Je me suis penchée sur la manière de renouer avec nos instincts les plus primaires, à commencer par le rôle des sens qui, tous ensemble en éveil, permettent de développer une attention nouvelle à notre environnement.
Je me suis prise de passion pour les réflexions de l’anthropologue Nastassja Martin dans Croire aux fauves ou Geoffroy Delorme dans L’homme chevreuil. Je n’ai pas pour autant adopté d’animal totem ou décidé d’aller vivre en autonomie quelque part loin des villes, mais j’ai semé en moi ainsi une appétence et une attention nouvelle.
Il y a dix ans, j’ai travaillé pendant quelques années sur l’économie du partage et les logiques collaboratives. Je réfléchissais alors aux manières d’agir pour « changer le monde », j’observais la société civile, ses réseaux, sa manière d’entrer en action par l’entraide et le partage. Je creusais à l’époque la notion d' »empowerment » – empouvoirement ou « pouvoir d’agir », en français. J’ai toujours été convaincue par la possibilité de révéler à chacun sa capacité à faire la différence, surtout quand il s’agit d’œuvrer pour l’intérêt général.
Avec cette enquête, ma réflexion s’est enrichie des leçons du vivant : guidée par les écrits de nombreux philosophes, j’ai appris à ressentir la puissance de ce qui s’exprime dans la « nature », ces élans de vie, ces capacités d’adaptation, cette « intelligence » forte d’un logiciel testé depuis des milliards d’années. Je ressens désormais ces puissances, intensément, quant au printemps, tout vient à germer, à s’exposer si intensément. Je ne vois plus les fleurs de la même façon, mon regard a changé sur la faune environnante, je ne suis plus qu’une « colocataire » qui tente, tant bien que mal, de se mettre au niveau.
Aussi cette conscience s’ajoute-t-elle à ce qui m’animait précédemment : des différents échanges que j’ai pu avoir au cours de l’enquête, ma conviction s’est approfondie sur la nécessité de réveiller et cultiver, tant que possible, ce lien avec ce qui nous lie. Je pourrais vous parler de l’extinction du vivant ou des chiffres catastrophiques qui mesurent chaque jour les conséquences néfastes de nos façons d’habiter le monde, il n’y a rien de tel que ce lien pour convaincre de la nécessité de changer. Mais attention : connaître, ce n’est pas maîtriser scientifiquement le nom des fleurs ou des oiseaux. C’est comprendre l’autre, non ce qu’il m’apporte ou me renvoie de moi, de ma propre personne ou intériorité. C’est le voir dans toute sa puissance, dans ses comportements, sa manière d’être, de vivre, dans son équilibre, sa nature. C’est le reconnaître, le discerner, voir à travers lui, le sens propre de son existence, son droit à être, tout simplement. C’est allier le sensible et le savant – ce que j’ai essayé de faire au mieux dans le livre…
Considérer ce droit d’exister, pour exister, et pas seulement au service de nos propres besoins, c’est commencer à cerner nos usages du monde. C’est entrer dans le dur des multiples conflits de cohabitation qui doivent être abordés pour agir dans le sens du vivant et de l’intérêt général, justement.
En ce sens, cette reconnexion est une boussole pour agir et un outil puissant d’engagement politique. Nous avons toutes et tous un renard et une rose, cette capacité à observer et interroger, à rencontrer l’autre, comprendre son monde, et s’enrichir de nos capacités respectives. Poétiquement, et politiquement, ce sont bien là quelques uns des messages que j’aimerais faire passer avec cet ouvrage.
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