Après l’opération nichoir à chauve-souris avec Tous aux abris et la découverte des plantes sauvages comestibles avec Plus vrai que nature, hier soir nous sommes allées au coeur du Medoc avec ma fille pour essayer d’entendre le brame du cerf.
Le brame, si vous ne connaissez pas, est le cri du cerf lorsque vient la saison des amours. On ne peut l’entendre qu’une fois par an (de mi septembre à mi octobre selon les régions), à l’aube ou la nuit tombée, et c’est une expérience dont on m’a toujours parlé avec beaucoup d’émotions. Le roi de la forêt se signale ainsi aux biches et tente d’effrayer les autres mâles. « Plus son appel est puissant, plus le mâle aura de conquêtes féminines », expliquent David Malbeck et Marianne Maury Kaufmann dans Les animaux qui sortent la nuit (La Salamandre Ed., collection des Antisèches pour parents en détresse – collection que l’équipe de la Salamandre m’a envoyée il y a peu et qui s’avère très utile quand nous partons ainsi en famille, NDLR). On l’entend paraît-il à des kilomètres à la ronde : plus le son est fort et clair, plus il attire les femelles. Pendant les trois à quatre semaines durant lesquelles durent son rut, le grand cerf se bat et s’accouple non stop… efforts et réconforts en somme 🙂
Et comme je l’ai appris dans ce témoignage du photographe animalier Michel d’Oultremont, la période d’ovulation chez la biche est très courte – elle ne dure qu’un jour. « Sans fécondation, l’œstrus suivant n’a lieu que dix-neuf jours plus tard. Il est donc capital de ne pas déranger les animaux au risque de compromettre leur reproduction », précise-t-il. Et pour y aller, en effet nous nous sommes faites discrètes : les organisateurs de l’association Natur’Jalles nous avaient conseillé de mettre des vêtements sombres et sans frottements bruyants, de ne pas nous parfumer et de rester le plus discrètes qui soient durant la balade.
Nous sommes une dizaine à nous retrouver au niveau d’une piste cyclable, dans la forêt d’Hourtin, en Gironde, entre Estuaire et Océan. Il est 20h, il fait déjà nuit. Fabrice nous donne quelques informations utiles pour comprendre les raisons de cette activité nocturne saisonnière très répandue à l’automne dans les parages. « En 1954, deux cerfs et six biches ont été importés de Chambord et ils ne cessent depuis d’occuper cette réserve naturelle » explique-t-il. Dans ce jeu de séduction auquel nous essayons de venir assister ce soir, il y a un langage apprend-on, avec quatre sons variés, du défi (court, quand il y a d’autres mâles) à la poursuite (plus court et puissant) en passant par le triomphe (royal). A la différence des sangliers, le cerf reste dans un rayon de 400 mètres paraît-il, il se déplace peu et ça se voit : un cerf de 200 kilos a besoin de consommer 15 kilos de végétal par jour. Glands, châtaignes, mais aussi maïs dans le coin. Il se frotte dans les arbres et fait de nombreux dégâts à cette occasion : « ce sont des autoroutes là où ils passent ! » nous explique Fabrice.
A la différence d’autres sites où il est facile d’aller écouter le cerf (dans les réserves ou les parc, sur des sites de quelques centaines d’hectares seulement, ici la forêt est grande (2 150 hectares), il nous faut ici entrer plus en profondeur dans la forêt. Nous nous engageons donc sur la piste cyclable, dans le noir, en silence, sur la pointe des bottes et chaussures de marche… Craquent les glands et frottent un peu les vêtements, avant que l’ouïe ne fasse place à la vue qui peu à peu s’adapte à l’obscurité. On discerne les formes, un peu de brume au-dessus des zones humides, on aperçoit déjà de belles étoiles. Mon odorat aussi commence à sentir les sous-bois. Il fait légèrement frais mais le temps est parfait pour cette petite marche nocturne. Nous formons maintenant un troupeau d’humains en quête d’un non-humain dont l’acte de reproduction, vital à son espèce, aura sans nul doute l’occasion de nous émerveiller.
Fabrice, c’est un passionné de nature : il semble tellement aguerri et dans son élément que son ouïe fine détecte en un rien de temps l’animal. S’il n’a pas su me dire pourquoi le brame a lieu surtout la nuit (est-ce parce que le monde est alors plus silencieux ? Est-ce parce que l’amour y est plus délicieux ? Les luttes plus intenses ?), sa fibre nous éclaire autant que sa frontale qui, le temps d’un instant, met en lumière une espèce de fougères primitives, les Osmondes (elles ne sont pas dentelées comme celles que l’on croise les plus souvent par chez nous). On ne les voit pas, mais certains chênes ont ici 400 ans…
Je tiens la main de ma fille quand soudain elle sursaute : Fabrice vient d’éclairer un buisson d’où sort un grognement un peu glauque et des bruits de feuillages labourés. Ce sont des sangliers qui à cause de nous se déplacent sans tarder. Nous les avons dérangés, et nous les entendons partir… Adèle a le coeur qui bat fort mais elle rit tellement !
Sur les rebords de notre chemin, nous distinguons un ver luisant. Puis un autre, et encore un ! C’est rare là aussi d’en croiser de nos jours. J’en ai vu deux dans notre jardin pendant le confinement et je sais à quel point ils ont disparu avec le temps ! Mais ce soir c’est comme si des leds avaient été parsemées le long de notre parcours, tous les 5 à 10 mètres environ. Ces lucioles sont aussi en quête d’amour, en fait…
Reines des sous-bois et feuilles mortes, elles forment de petites lueurs qu’on s’amuse à deviner. Plusieurs dizaines dans la soirée. Elles résonnent ainsi avec la voie lactée, si belle ce soir. Je pense à Théodore Monod, et m’amuse encore de cette manière dont l’infiniment petit résonne avec cet infiniment grand.
On entend quelques chouettes, on dérange des tourterelles ou des palombes, et nous nous arrêtons au bout de deux kilomètres de marche environ. Pendant trente minutes nous restons assis à terre dans le silence, à l’affût ! Si je ferme les yeux pour mieux entendre (c’est comme ça chez moi !), nous n’entendons pas grand chose. Quelques oiseaux, un chevreuil qui aboie au loin, quelques sangliers pas loin…. mais le brame se fait désirer. Ma louloutte écoute elle aussi, le temps lui paraît un peu long et je lui dis de méditer, de faire la statue. On se sert fort l’une contre l’autre et on tend l’oreille.
Soudain, un râle, discret. Sur notre droite. Au début j’ai cru qu’un membre de notre équipée du moment s’était endormi et mis à ronfler 🙂 On se lève et nous avançons en silence sur la piste pour essayer de l’entendre d’un peu plus près. Il n’est pas tout près et nous a sans doute entendu aussi, il reste aussi discret que nous, mais avec des sens cent fois plus aiguisés ! Le silence revient, à peine perturbé par une bande de sangliers qui passe encore au loin. Fabrice dit avoir entendu un autre brame beaucoup plus loin quand nous attendions… pas capté de mon côté, mon ouïe n’est pas aussi fine !
Il est presque 22h maintenant, la voie lactée s’est discrètement mise à l’abris d’une couverture de nuages. Nous décidons de repartir, un peu bredouille mais pas moins enchantées de cette première expérience. A vrai dire cette sortie devait avoir lieu fin septembre mais elle avait été reculée en raison de la météo fort pluvieuse qui a sévi ces quinze derniers jours. « Ces dernières nuits on les entendait encore beaucoup » nous relate Fabrice, « nous arrivons à la fin de la saison et les cerfs sont épuisés, cela leur demande beaucoup d’énergie ».
Au retour, les lucioles balisent encore nos pas. C’est promis, on reviendra l’an prochain pour essayer d’écouter ça une nouvelle fois.
France 3 a fait un reportage il y a peu en compagnie d’Adanda Joinet, une jeune photographe naturaliste (à suivre ici sur Instagram). Elle y partage sa passion et met en garde aussi : soyons précautionneux quand nous allons ainsi à la rencontre de la faune sauvage. Brame du cerf : rencontre avec Ananda Joinet, photographe naturaliste.
France 3 avait réalisé aussi ce reportage en forêt du Médoc l’an dernier, en compagnie d’un photographe amateur :
A noter : il existe un championnat d’imitation du brame du cerf – depuis vingt ans au niveau européen, et huit ans en France. Savoir l’imiter est utile pour les chasseurs, comme l’explique cet article du Huffington Post l’an dernier, parlant de l’Eurovision des chasseurs :
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