Le photographe brésilien Sebastião Salgado a aujourd’hui une renommée mondiale. Profondément attaché à la nature luxuriante de son pays, son travail s’attache, depuis 2004, à valoriser la nature sauvage, préservée. Son approche, d’ordinaire positive et porteuse d’espoir, ne souhaite pas dissimuler pour autant les plaies béantes ouvertes dans la forêt, qui ne cessent de s’agrandir.
Aussi propose-t-il dès demain une exposition à l’Espace Frans Krajcberg, à Paris (jusqu’au 27 octobre 2021), pour présenter neuf photographies inédites d’une Amazonie dont la vitalité est mise à mal par l’activité humaine. Conçue comme « l’antithèse » d’une grande exposition à venir en avril 2021 à la Philharmonie de Paris (AMAZÔNIA, qui portera sur l’Amazonie « Vivante et éternelle »), ces clichés sont aussi un hommage travail artistique et militant de Frans Krajcberg (1921-2017) : les deux hommes se sont connus, ils partageaient la même passion des arbres et de la forêt brésilienne, avec une volonté de « dénoncer » pour nous forcer à agir.
A travers l’oeuvre de ces deux hommes, des sculptures-totems faites de bois brûlés ramassés sur les lieux de la déforestation aux photos réalisées depuis l’hélicoptère bi-turbines de l’État-major de l’armée Brésilienne (qui possède 23 quartiers militaires dans la région et apporte une assistance, notamment médicale, aux communautés avec qui ils entretiennent de très bonnes relations, d’après le photographe), on sent aussi bien la tourmente que la résurrection de la forêt morte.
Ces deux artistes nous partagent aussi, en miroir, leurs propres blessures. Frans Krajcberg, qui se définissait comme un « homme blessé » (d’une blessure profonde et inguérissable de la Shoah et de la guerre, dans lesquelles il a perdu toute sa famille et ses proches), c’est au contact des arbres et de la nature grandiose qu’il survit et panse ses plaies, avant d’être rattrapé par la folie humaine et les feux de la destruction. Il fut le premier à les photographier pour les dénoncer dans une révolte et un cri qui perdurent encore aujourd’hui. Sebastião Salgado, pour sa part, sera abîmé en rentrant du Rwanda où il s’est rendu à plusieurs reprises au moment de la guerre civile et du génocide des Tutsi (il le raconte dans son film O sal da Terra, que je vous mets en fin d’article – « j’étais complètement abimé, déprimé, j’avais des infections… je venais d’une chose tellement terrible, ma tête était malade… et en arrivant au Brésil je voulais arrêter la photo. J’étais dans un tel désespoir. Lélia et moi nous sommes retournés sur les terres de mon père avec l’idée d’être agriculteurs et là, nous nous sommes retrouvés face à un nouveau désespoir : la forêt que j’avais connue luxuriante était morte. Il n’y avait plus rien. C’est là que Lélia m’a dit : « Sebastião, on va replanter la forêt, ici-même (…) C’est la reconstruction de la forêt qui m’a reconstruit » confie-t-il dans une interview réalisée en juillet dans le cadre de « Blessure »).
Ces hommes, mis à terre par tant de haine et de massacres, entrent par leur art dans une forme de résilience qu’ils veulent partager au plus grand nombre. Si le premier ne s’en relève pas et personnifie sans relâche sa tourmente en appuyant son oeuvre sur un écosystème détruit, l’autre base son oeuvre sur le même écosystème, mais en s’attachant à sa reconstruction.
« Il y a une vraie continuité entre nous. Frans Krajcberg, avant nous, a dénoncé la déconstruction et nous, nous agissons pour la reconstruction »
Sebastião Salgado
« Blessure » est donc une exposition hommage, un cri de plus, et une façon de rappeler qu’il est nécessaire d’agir sans plus tarder…
Rendez-vous donc Chemin du Montparnasse, 21 avenue du Maine 75015 Paris du 25 septembre 2020 au 27 février 2021 (entre 14h et 18h)
Bonus : le film Le Sel de la Terre :
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