Cette idée de film lui trottait en tête depuis longtemps. Il l’avait proposé à France TV une première fois, mais sans tomber d’accord sur l’angle à adopter : là où France 2 voulait narrer la rencontre entre animaux domestiques et bêtes sauvages, Stéphane Durand voulait insuffler une dimension politique, humaine et sociale. Il l’a donc mis de côté quelques temps avant de le proposer plus tard à France 3, qui l’a accepté en quelques secondes. Pour cause, parler de paysans heureux, qui exercent en harmonie avec le vivant, c’est offrir un discours qui fait du bien en ce moment.
En 52 minutes, comme le décrit le résumé du documentaire, on voit comment « certains paysans parlent aux oiseaux, fraternisent avec les renards et les blaireaux, hébergent les migrateurs, cohabitent avec les chauves-souris, accueillent les herbes folles et toute cette nature encombrante, inutile et soi-disant nuisible que l’agriculture conventionnelle cherche à exterminer à grands renforts de pesticides depuis plus de 50 ans« .
On est surtout subjugué par la manière dont les trois paysans suivis dans le film partagent avec passion leur approche de la biodiversité : elle est simple, naturelle, évidente, elle coule de source. Sébastien Blache, de la Ferme du Grand Laval, dans la Drôme, crève l’écran. Cet ancien chargé de mission à la Ligue pour la Protection des Oiseaux est ornithologue de formation. Il reprend la ferme de son grand-père en 2006, passe tout en bio, et montre dans le documentaire comment la polyculture élevage créée des synergies fertiles qu’il conçoit comme un pacte avec le sauvage et mise sur la force des écosystèmes pour mener sa barque là où d’autres veulent naviguer en paquebot. Pour ce paysan de nature dont Baptiste Morizot parle abondamment sans Raviver les Braises du vivant (Actes Sud) et dans le Hors-Série de Socialter dont il est le rédacteur en chef « l’agriculture qui sera pratiquée dans l’avenir n’aura jamais été aussi avantageuse, les agriculteurs qui le veulent ont toute la connaissance à portée de main pour créer des fermes sauvages« .
Critiquant le biais judéo-chrétien qui qualifie de sauvages les coins de nature qui ne sont pas propres (i.e. déblayés et sulfatés car incapables de prospérer convenablement sans intervention humaine), Sébastien Blache prouve qu’il est possible de mêler les cultures de cameline et de lentilles, d’installer une mare par hectare et bâtir peu à peu des systèmes agricoles habités par des espèces qui participent, par leur force de vie, à créer l’abondance des écosystèmes.
On suit également Michel Pritzy, qui dans le Doubs surveille la reproduction des campagnols dans ses 80 hectares de prairies naturelles : s’ils sont présents en faible densité, cela aère les sols et participe à l’équilibre. Mais s’ils sont trop nombreux, cela génère de nombreuses pertes. Aussi a-t-il décidé d’avoir recours aux prédateurs naturels, les renards, pour réguler les 300 hectares de sa ferme (où il élève des vaches laitières qui produisent du lait AOP Comté). « Le renard peut visiter mon potager tant qu’il veut tant qu’il fait la prairie avant, c’est un employé gratuit, il est toujours là, il veille« , note en ce sens le paysan dont la démarche a inspiré le titre du documentaire. Ce dernier conçoit d’ailleurs son métier d’agriculteur comme « gardien de la nature » », comme il l’explique dans cette conférence donnée l’an dernier à l’ASPAS :
Pour Stéphane Durand, qui a rencontré cet éleveur lors d’une conférence où il présentait sa démarche, cet engagement est d’autant plus touchant qu’il n’était pas répandu dans sa famille. « Fils et petit fils de paysan, il en a simplement eu marre un jour de bousiller la terre !«
Michel Pritzy a notamment créé le collectif Renard Doubs pour s’opposer au lobby de la chasse. Quand on sait qu’environ 500 000 renards (et non 100 000 comme indiqué au début du film) sont tués chaque année et que cela a aussi des effets sur la diffusion de la maladie de Lyme, on ne peut que soutenir son engagement. Dans le film, on apprend que le renard est maintenant protégé dans 27 communes du Doubs… un début ?
Enfin, le troisième portrait croisé aux deux précédents est tout aussi fort avec Mathieu Vaslin qui, dans sa ferme de Borde Grande, dans l’Aude veille sur les vautours. Ce paysan est un expert ornithologue qui élève une race rustique de chèvres, sur les hauts des Corbières. Là, les paysans ont établi une zone d’équarrissage où ils viennent déposer les carcasses dont se délectent les vautours. « Ces oiseaux sont un cul de sac épidémiologique en plus, donc le bénéfice est total » souligne celui qui, à 44 ans, constate avec tristesse assister à la disparition du vivant et en faire un motif d’engagement d’autant plus fort dans son métier.
« Il ne faut pas être pressé d’avoir raison » lâche l’un de ces trois paysans de nature, à la fin du film, alors que leur démarche de transmission donne espoir. Ce type de fermes sauvages pourrait-il annoncer un changement de paradigme ? C’est ce que sous-entendent les réalisateurs, pour sûr !
++ DES FRAISES POUR LE RENARD (Cinquième rêve Production, Stéphane Durand et Thierry Robert) – jeudi 17 décembre à 23h15 sur France 3 dans La ligne bleue – case Sociétale
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